C’est une première aux États-Unis, une école publique à charte religieuse devrait recevoir un financement de la part de l’État. Les associations pour la séparation de l’Église et de l’État sont vent debout contre le projet, et le procureur général de l’Oklahoma vient de les rejoindre en déposant un recours en justice pour faire annuler le feu vert donné à la création de l’école. Au grand dam du gouverneur.
Au début du mois de juin dernier, l’Oklahoma Statewide Virtual Charter Board (conseil des écoles à charte de l’Oklahoma) a approuvé par trois voix contre deux la demande d’obtention d’une charte pour l’école virtuelle St. Isidore of Seville qui prévoit de débuter ses cours à l’automne 2024 pour des enfants de la maternelle au secondaire.
On dénombrait 7 847 écoles à charte aux États-Unis pour l’année scolaire 2021-2022, et leur nombre ne cesse de croître, il y en avait un millier de moins en 2014-2015. Ces écoles ont la particularité d’être des établissements d’enseignement public et laïque gérés par des associations privées, ce qui leur garantit une autonomie certaine dans leurs choix pédagogiques, tout en étant essentiellement financés par l’État. Il y en a une trentaine dans l’Oklahoma, mais une seule a suscité l’ire de certaines associations et du procureur général (équivalent du ministre de la Justice) de l’État.
Une validation dans la suite de récents arrêts de la Cour suprême
En avril dernier, l’Oklahoma Statewide Virtual Charter Board avait rejeté à l’unanimité la demande de cette école catholique, estimant qu’un financement public serait en porte-à-faux avec la Constitution dont le premier amendement dispose que l’État ne peut intervenir en matière religieuse, ni pour établir un culte ni pour l’interdire. Cependant, l’archidiocèse d’Oklahoma City a soumis une nouvelle demande révisée dans le délai de 30 jours, cette fois-ci acceptée.
En décembre de l’an dernier, la directrice générale du Statewide Virtual Charter School Board, Rebecca Wilkinson, avait demandé au bureau du procureur général d’alors, John O’Connor, si le Conseil devait toujours refuser les financements aux établissements scolaires religieux alors que la Cour suprême avait décidé, dans des affaires concernant trois États, qu’il était inconstitutionnel d’exclure les organisations religieuses du financement public des écoles. Le ministre avait publié un avis selon lequel la loi de l’Oklahoma interdisant qu’une école publique à charte puisse être dirigée par une organisation religieuse pourrait constituer une violation du premier amendement.
Le procureur général s’était appuyé sur une nouvelle jurisprudence de la Cour suprême fédérale qui, dans diverses affaires, avait condamné des États pour avoir discriminé négativement des écoles religieuses ou les parents des élèves fréquentant ce type d’établissements.
Dans l’arrêt Trinity Lutheran Church of Columbia Inc. v. Comer rendu en 2017, la plus haute juridiction américaine avait déclaré que le refus de l’État du Missouri d’accorder une subvention au centre d’apprentissage pour enfants de l’Église luthérienne Trinity était discriminatoire et contraire à la Constitution :
"Mais l'exclusion de [l’Église] Trinity Lutheran d'un avantage public pour lequel elle est par ailleurs qualifiée, uniquement parce qu'il s'agit d'une église, est tout de même odieuse à notre Constitution et ne saurait être maintenue."
Comme dans l’affaire St. Isidore of Seville, le sujet concernait le prélèvement d’argent public pour financer une confession religieuse.
Dans deux autres décisions impliquant les États du Montana et du Maine rendues respectivement en 2019 et 2022, la Cour suprême avait d’une part statué que les États subventionnant les écoles privées ne peuvent discriminer entre ces dernières sur des critères religieux, d’autre part que les États ne sont pas fondés à refuser de subventionner les frais de scolarité des enfants inscrits dans des établissements privés offrant un enseignement religieux.
Cependant, les opposants au financement public de St. Isidore of Seville contestent cette lecture des arrêts de la Cour suprême. Ainsi, l'Oklahoma Education Association a déclaré dans un communiqué que ces décisions de la Cour suprême "ne sont pas contextuellement similaires" à l'idée d'une école à charte de l'Oklahoma recevant un financement public tout en "exigeant également l'affirmation de principes et de doctrines religieuses particulières comme condition d'admission". Les écoles à charte sont censées être ouvertes à tous les élèves.
L’association souligne que la section II-5 de la Constitution de l’État interdit l’utilisation d’argent public pour des motifs religieux et que les électeurs oklahomains se sont prononcés en 2016 contre la suppression de la loi prohibant de tels financements.
Procureur général contre gouverneur, le gouvernement se déchire sur la question
En juillet, neufs résidents de l’Oklahoma et une association de parents plaidoyant en faveur de l’école public (OKPLAC) ont choisi d’ester en justice, représentés par plusieurs associations telles que la puissante ACLU (American Civil Liberties Union) ou l’Americans United for Separation of Church and State.
Les plaignants arguent que l’école prévoit de discriminer les élèves sur la base de la religion, de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Selon eux, ils peuvent se voir refuser l’admission, faire l’objet de mesures disciplinaires ou être expulsés si eux ou des membres de leurs familles sont LGBTQ+ ou ont des croyances non catholiques. Ils reprochent également à St. Isidore son choix de "participer à la mission d’évangélisation de l’Église" et critiquent le contrôle de l’école par l’archidiocèse d’Oklahoma City alors qu’une école à charte doit être indépendante de l’organisme qui la gère.
Les plaignants ont obtenu un renfort surprenant, celui du nouveau procureur général de l’État, Gentner Drummond, un républicain. Ce dernier a saisi la justice le 20 octobre pour bloquer la création et le financement de la première école religieuse publique à charte du pays. Le ministre de la Justice a intenté son action dans la foulée de la signature par trois des membres de l’Oklahoma Statewide Virtual Charter Board du contrat avec l’école catholique. Selon lui, cette acceptation ouvrira la boîte de Pandore :
"Ne vous y trompez pas, si l’Église catholique était autorisée à avoir une école publique virtuelle à charte, il s’ensuivrait une situation où l’État serait confronté au dilemme sans précédent du traitement des demandes de financement direct de tous les groupes sectaires pétitionnaires."
De son côté, le gouverneur républicain Kevin Stitt a vertement critiqué le procureur général en l’accusant de méconnaître le principe constitutionnel de la liberté religieuse :
"Ce procès est un coup politique et va à l'encontre des valeurs de l'Oklahoma et de la loi [...] La création de l'école St. Isidore est une victoire pour la liberté de religion et d'éducation en Oklahoma. Nous voulons que les parents puissent choisir l'éducation qui convient le mieux à leurs enfants, quels que soient leurs revenus. L'État ne doit pas s'y opposer."
Jean Sarpédon